Je suis arrivée à Londres en 2012. Loin de chez moi, loin de Taïwan, dans un monde nouveau. C’était un événement universitaire… mon corps a lâché : palpitations, sueurs froides, vertiges. J’ai pensé à de l’anxiété sociale. Une montée de stress, un moment de panique, rien de plus.
Mais ce n’était pas que ça.
Je ne reconnaissais plus personne. Ni mes colocs. Ni mes camarades de classe. Même des visages que je voyais tous les jours m’étaient devenus étrangers. Tous les traits s’étaient dissous. Les gens étaient là, mais leur visage n’avait plus d’ancrage. Je me sentais comme une étrangère au milieu de mes proches.
J’étais perdue dans un monde flou, où chacun devenait un inconnu.
Heureusement, avec le temps, les symptômes se sont atténués. Mais cette expérience a laissé une empreinte. Elle m’a poussée à m’intéresser à la prosopagnosie. J’ai lu, beaucoup. J’ai interviewé des personnes concernées, j’ai écouté leurs histoires, j’ai appris leurs stratégies.
J’ai compris quelque chose de fondamental.
Quand la prosopagnosie est présente depuis l’enfance, on apprend à composer avec. On reconnaît les gens à leur voix, à leur démarche, à leur silhouette. On développe des chemins de traverse.
Mais quand ce trouble apparaît brutalement à l’âge adulte, après un choc, une maladie, un stress intense… c’est comme tomber dans le vide. Il n’y a pas de boussole. Pas de plan B pour eux qui n’on pas pas eu le temps d’apprendre à vivre sans se souvenir des visages.