Médecin, et pourtant…

Dans mon cabinet, tout est ritualisé : j’appelle « Madame Martin », une voix répond « oui », je sors la main gel hydro, je souris. La voix suffit, le dossier s’ouvre, la consultation se déroule.

C’est hors du cabinet que tout se dérègle.

Un samedi, au marché, quelqu’un me dit « Bonjour docteur ! » avec une chaleur qui ne trompe pas. Mon cerveau, lui, patine. Je cherche un badge imaginaire, un stétho, un indice. Rien. J’offre mon meilleur « Bonjour ! Comment allez-vous ? » — assez neutre pour tenir, assez vague pour ne pas me trahir — et je file en me promettant de ne plus jamais sortir sans ma blouse (humour, mais à moitié).

J’ai longtemps classé ça dans « je ne suis pas physionomiste ». Un trait amusant, presque folklorique. Et puis, un soir, en discutant avec un ami — lui-même très direct — je décris mes acrobaties sociales : reconnaître les gens surtout à la voix, m’effondrer quand le contexte change, confondre deux patients si leurs couleurs de cheveux et leur gabarit se rapprochent, ne pas “retrouver” une personne croisée hors du cabinet. Il m’écoute, sourit, et me dit :

« Tu sais que tout ça porte un nom ? Prosopagnosie. »

Silence court, soulagement long. Tout s’aligne : ce n’était pas de l’étourderie gentille ni un manque d’intérêt — simplement un mode de reconnaissance différent. Et, ironie douce, oui : on peut être professionnel·le de santé, formé·e, attentif·ve… et découvrir tardivement ce fonctionnement — parfois chez ses patients, parfois chez soi.

Depuis, j’ai ajusté mon pratique : je réintroduis mon nom et le leur en début de consultation (« Bonjour, je suis le Dr X. Vous êtes bien Mme Y ? »), je laisse la voix m’ancrer quelques secondes, je note un repère non facial (démarche, accessoire récurrent) dans mes mémos privés, j’explique sans dramatiser : « Je suis très mauvais·e avec les visages, n’hésitez pas à me redire votre prénom. »

Étrangement, tout le monde respire mieux. Moi la première.

La prosopagnosie est discrète, tenace, et souvent invisible — au point que même des professionnel·les formé·es peuvent la découvrir tard, parfois chez eux-mêmes. La nommer n’efface pas la difficulté, mais elle désamorce la honte et ouvre la porte aux bonnes stratégies. Le reste, c’est du soin comme d’habitude : honnêteté, outils adaptés, et bienveillance.

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Je suis arrivée à Londres en 2012. Loin de chez moi, loin de Taïwan, dans un monde nouveau. C’était un événement universitaire… mon corps a lâché : palpitations, sueurs froides, vertiges. J’ai pensé...

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C’était vers mes vingt ans. On traînait tous les soirs chez un voisin, une petite bande d’habitués, à refaire le monde dans des canapés fatigués. Parmi nous, il y avait cette fille — une amie de la...

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Je bossais sur deux projets très différents. À chaque fois, je retrouvais “quelqu’un” en réunion pour l’un ou pour l’autre. Parfois je déjeunais avec “l’un”, et l’après-midi je faisais une visio...
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