Un échange riche et sensible sur la prosopagnosie.
Dans cette interview menée par Fabien Olicar, Ava Luquet parle d’elle avec une grande simplicité : elle vit à la fois avec une prosopagnosie (impossibilité de reconnaître les visages) et une hyperphantasie (imagerie mentale d’une intensité presque réaliste). Deux réalités cérébrales qui semblent s’opposer et qui, pourtant, cohabitent dans le même esprit.
Le travail de Fabien est d’une justesse rare. Il installe un cadre bienveillant, curieux, précis. Il laisse à Ava le temps de dérouler son expérience sans jamais la réduire à un “trouble”. Ce qui se joue là, c’est moins de la pathologie que de la poétique du fonctionnement cérébral : une autre manière d’habiter le monde.
Ava explique que son cerveau ne comprend pas les visages. Ils lui échappent, se dissolvent. Pour reconnaître quelqu’un, elle s’appuie sur d’autres indices : une voix, une démarche, une coupe de cheveux, un vêtement. Et malgré ça, elle imagine tout le reste avec une précision incroyable — les textures, les couleurs, la lumière, les mouvements.
Cette hyperphantasie nourrit sa créativité : elle conçoit des vêtements, visualise des scènes entières avant même qu’elles existent.
Ce paradoxe — voir sans reconnaître, imaginer sans limite — crée une beauté étrange dans sa manière de parler. On sent une lucidité calme, sans drame. Elle ne cherche pas à guérir, mais à comprendre. À apprivoiser son mode de perception.
Ce que j’aime dans cet entretien, c’est cette idée qu’on peut vulgariser la science sans oublier la part émotionnelle. Tout ce qu’elle raconte sur son rapport aux images mentales résonne avec la photographie : cette vision intérieure du rendu, la matière, le grain que l’on “voit” avant même de déclencher.
La science n’écrase jamais le vécu. On parle de perception, d’émotion, d’adaptation — pas de “trouble” au sens clinique, mais d’une façon d’être au monde. Ava raconte comment elle se repère aux cheveux, aux voix, aux gestes. Comment les films d’horreur deviennent insoutenables quand son cerveau, trop précis, comble chaque flou avec son propre imaginaire.
Je me reconnais complètement dans ce qu’elle décrit de l’hyperphantasie. Cette manière d’avoir des visions ultra concrètes avant même d’agir. Dans mon travail photo, c’est la même chose : j’ai souvent une image mentale du rendu final avant de déclencher, jusque dans la texture du grain ou la lumière que je veux obtenir. C’est à la fois une boussole et un vertige.
Et cette aversion pour les films d’horreur, je la partage aussi. Quand l’esprit projette les images avec une telle intensité, il n’y a plus d’écran entre soi et la scène. Tout devient trop réel, trop sensoriel.
Comme le dit Fabien : “le cerveau veut remplir les pixels manquants.” Cette phrase, à elle seule, résume toute la beauté et la cruauté de l’hyperphantasie.
Cet entretien est un petit bijou. Un équilibre rare entre rigueur et sensibilité, entre savoir et vécu.
Ava nous rappelle que le cerveau n’est pas qu’une machine à traiter des données : c’est aussi un territoire d’émotions, de bizarreries et de beauté.
L’entretien explore la vie quotidienne d’Ava, une personne atteinte de prosopagnosie (incapacité à reconnaître les visages) et d’hyperphantasie (capacité à créer des images mentales extrêmement réalistes), une combinaison rare et paradoxale.
Points clés abordés :
- Définition et Contraste des Conditions d’Ava :
- Prosopagnosie : Le cerveau d’Ava ne comprend ni ne retient les visages. Elle ne peut pas se les représenter mentalement et n’a aucune idée des proportions faciales. Elle compare cela à la difficulté de se remémorer les détails exacts d’un tableau complexe après l’avoir vu. Cela s’étend à la reconnaissance de son propre visage sans repères.
 - Hyperphantasie : À l’inverse de la prosopagnosie, Ava crée des images mentales très détaillées et réalistes pour tout le reste (objets, scènes, corps, etc.), à l’exception des visages, où il y a un « flou ». Cette coexistence est inhabituelle, car la prosopagnosie est souvent associée à une visualisation mentale affectée, voire à l’aphantasie (absence d’imagerie mentale).
 
 - Impacts de la Prosopagnosie sur la Vie Quotidienne :
- Reconnaissance des personnes : Ava ne peut pas reconnaître les gens par leur visage, même ses proches. Elle se base sur des éléments externes : coupe de cheveux, habillement, voix, démarche, tatouages, ou le contexte. Un simple changement de coiffure peut rendre une personne totalement méconnaissable.
 - Interactions sociales et professionnelles :
- À l’université, elle a réalisé l’ampleur de sa condition en rencontrant de nombreuses nouvelles personnes qu’elle ne parvenait pas à identifier.
 - Dans le cadre professionnel, elle note des détails (cheveux, lieu de travail) pour identifier ses collègues et craint d’offenser les gens en ne les reconnaissant pas, surtout si elles changent d’environnement.
 - Elle prévient souvent les gens qu’elle rencontre de sa prosopagnosie pour éviter les malentendus.
 
 - Vie sentimentale : Elle ne peut pas visualiser le visage de son partenaire en son absence et a besoin de photos pour s’en souvenir, ce qui est une source de frustration.
 - Médias : Suivre des films ou des séries est difficile, car elle peine à différencier les personnages, surtout s’ils ont des physiques similaires (ex: Joey et Chandler dans Friends). Elle préfère les séries où les personnages sont plus récurrents et stables.
 
 - Impacts de l’Hyperphantasie sur la Vie Quotidienne :
- Création artistique : Elle conçoit des vêtements sur mesure en les imaginant si concrètement qu’elle les cherche parfois dans son placard avant même de les avoir confectionnés.
 - Émotions et souvenirs : Lorsqu’elle visualise un souvenir, elle le ressent avec la même intensité émotionnelle que si elle le vivait, ce qui peut parfois créer un décalage avec la réalité ou des interprétations erronées des émotions passées des autres.
 - Films d’horreur : Son hyperphantasie rend les films d’horreur très difficiles, car les images violentes sans visage (son cerveau comble les détails manquants des monstres) sont vécues de manière extrêmement réaliste.
 - Différence avec l’hypermnésie : Il est précisé que l’hyperphantasie n’est pas l’hypermnésie (mémoire parfaite) ; la visualisation intense ne garantit pas la précision absolue des souvenirs.
 - Corrélation avec les troubles dépressifs : L’hyperphantasie est parfois liée à des troubles dépressifs ou au stress post-traumatique, car les flashs de souvenirs sont d’une intensité très réaliste.
 
 - Perception et Adaptation d’Ava :
- Ava ne considère pas ses conditions comme un handicap, mais plutôt comme des aspects de son fonctionnement, parfois « un peu relou ».
 - La prosopagnosie l’a rendue moins consciente de son apparence, ce qui est un avantage en tant que comédienne, car elle peut s’exprimer pleinement sans auto-jugement sur son visage.
 - Il n’existe pas de thérapie spécifique pour ces conditions, et la connaissance générale à leur sujet est faible.
 - Rêves lucides : Ava est toujours consciente qu’elle rêve. L’absence de visages dans ses rêves lui sert de « test de réalité » perpétuel, la signalant qu’elle n’est pas dans la réalité.
 
 
Ava partage une perspective unique sur la prosopagnosie et l’hyperphantasie, illustrant les défis, les adaptations et même certains avantages inattendus de vivre avec ces configurations neurologiques particulières.
					




            
            
            
            
            
            
            
            
            
            
            
            
            
            
            
            
            
            
            
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