Dans l’ascenseur du boulot, deux collègues discutent côte à côte. Même taille, même carrure, même coupe “propre du lundi”. Je les salue, je plaisante… et, au moment de repartir, j’appelle l’un par le prénom de l’autre. Sourire poli, micro-blanc, “pas grave”. Sauf que moi, dedans, c’est la goutte froide : j’ai l’impression de ne pas parvenir à mémoriser les visages.
Quand deux personnes ont une corpulence proche et des coiffures similaires, je ne fais qu’assez peu de différence. Je me demande toujours si c’est parce que je ne m’intéresse pas assez aux gens — ou si quelque chose m’échappe, indépendamment de ma volonté.
La vérité, c’est que je retiens très bien les histoires, les voix, la façon de marcher, les rires. Mais le visage, lui, glisse. Alors, pour rester en lien, je triche gentiment : je laisse parler quelques secondes (la voix me sauve), je pose une question contexte (“On s’est vu à la réunion sécurité, non ?”), je me fabrique des repères (lunettes rondes, sac jaune, montre acier).
Mon cerveau n’encode pas le visage comme une signature fiable ; il s’appuie sur des indices périphériques (voix, posture, accessoires, lieu). Quand ces indices se ressemblent entre deux personnes, je fusionne. Ce n’est ni du désintérêt ni de la froideur : c’est une autre façon (un peu cabossée) de reconnaître les gens.