La France compte-t-elle plus de 1,7 million de prosopagnosiques ?

Selon les scientifiques, environ 2,5% de la population souffre de prosopagnosie, soit une personne sur 40. En France, cela représente près de 1,7 million de personnes. Pourtant, ce chiffre semble loin de la réalité observée au quotidien.

Pourquoi ce trouble, bien que significatif, reste-t-il si méconnu ?

Pourquoi ne croise-t-on pas plus de personnes qui avouent candidement : “Désolé, je ne reconnais pas les visages” ?

Le nombre de Dunbar, concept introduit par l’anthropologue britannique Robin Dunbar, représente le nombre maximum d’individus avec lesquels une personne peut entretenir simultanément une relation humaine stable. Cette limite est estimée entre 100 et 230 personnes, avec une valeur pratique souvent admise à 150.

Si l’on suit ces chiffres, dans un cercle social de 150 personnes, environ 3 à 4 individus devraient être prosopagnosiques.

Pourtant, chaque fois que je parle de prosopagnosie, la plupart des personnes ne savent pas ce que c’est, ne se perçoivent pas comme prosopagnosiques. Cependant, il m’arrive souvent qu’elles me répondent : “Moi, j’ai la même chose mais avec les prénoms…”. Je suppose que certains prosopagnosiques pensent avoir une mauvaise mémoire des prénoms.

Lorsque la personne connaît ce qu’est la prosopagnosie, c’est généralement parce qu’elle connaît une personne avec ce trouble jamais plus… Si les chiffres de l’étude de 2006 qui est utilisé dans tous les articles est exactes nous devrions tous connaitre au moins 3 prosopagnosiques.

Pourquoi ce Décalage ?

Le camouflage involontaire

Grandir avec une neuroatypie comme la prosopagnosie, c’est comme vivre dans un monde où l’on pense que tout le monde voit avec les mêmes lunettes que nous. Comme un daltonien qui ignore que les autres voient le rouge et le vert différemment, le prosopagnosique s’adapte sans même s’en rendre compte. On développe des stratagèmes : reconnaître les gens à leur voix, leur démarche, leur coiffure ou même leur parfum.
On rit poliment quand quelqu’un nous salue en espérant que le contexte nous aidera à remettre un nom sur ce visage inconnu. Et on attribue ces difficultés à d’autres causes, comme une mauvaise mémoire ou des problèmes d’attention.

Il n’est pas rare que des personnes découvrent leur prosopagnosie à un âge avancé. J’ai entendu l’histoire de quelqu’un qui, à 50 ans, a appris son trouble de la bouches de à ses enfants. Pour ma part, il a fallu une situation cocasse — confondre son bébé à la crèche — pour réaliser à 27 ans que ce n’était pas le manque d’attention.

La comorbidité silencieuse

Selon mon psychiatre, une neuroatypie ne vient rarement seule. La prosopagnosie est souvent associée à d’autres troubles plus visibles comme le trouble du spectre autistique, la dyslexie ou le trouble déficitaire de l’attention (TDA/TDAH). Ces troubles plus visibles peuvent détourner l’attention de la prosopagnosie, la rendant encore moins apparente.

Stigmatisation et peur du jugement social

Avouer sa prosopagnosie peut entraîner des incompréhensions ou des jugements négatifs. Par conséquent, je supose que certains prosopagnosique préfèrent ne pas en parler, ce qui contribue à son invisibilité.

Et ce n’est pas valorisant lors d’une rencontre d’annocer : “Si on se recroise, je ne te reconnais peut-être pas.” Et puis expliquer la prosopagnosie c’est long… et ce long discours n’est pas tres sexy. Alors on se tait. Mieux vaut risquer de passer pour plus tard pour un distrait que maintenant pour quelqu’un d’étrange.

Limitations professionnelles

Les personnes prosopagnosiques peuvent éviter de mentionner leur trouble par crainte qu’il affecte leur image professionnelle, choisissant plutôt de masquer leurs difficultés.

Imaginez un policier, un banquier, un enseignant, un commercial un serveur incapable de reconnaître les visages. Pas forcement premier choix du RH, n’est-ce pas ?

Vers une reconnaissance accrue

Alors, comment faire pour que ce trouble sorte de l’ombre ? La première étape est d’en parler entre nous et à nos proche. Plus nous partagerons nos expériences, plus la société prendra conscience de la réalité de la prosopagnosie. Cela ouvrira la porte à des adaptations, à une meilleure compréhension et, peut étre à une inclusion accrue dans tous les domaines de la vie professionnelle et sociale.

Références :

  • Kennerknecht, J., Guillemin, C., Gilaie-Dotan, S., Duchaine, B., & Behrmann, M. (2006). First report of prevalence of non-syndromic hereditary prosopagnosia (HPA). PubMed
  • Dunbar, R. (1992). Neocortex size and group size in primates, including humans. Behavioral and Brain Sciences.
  • Selon une étude récente, jusqu’à 40% des personnes autistes pourraient également être prosopagnosiques
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